PAROLES DE MUR - Foire et tragédie
CE QU'ILS EN DISENT
PHOTOGRAPHIES
PARCOURS DU SPECTATEUR
TEXTES
CE QU'ILS EN DISENT
Elle est venue me prendre par la main et je l’aurais suivie au bout du monde. Dans son regard, confiance et complicité. Leur univers est brusquement devenu le mien. (…) J'aime me promener dans la ville et toucher du doigt les murs quand je marche. Le bout du doigt devient gris, s'amassent dessus la saleté, les particules que nous produisons. Murs de la cité, mur des visages fermés dans le métro, murs qui n'en peuvent plus d'avoir des oreilles.
Elles sont leurs voix. Cacophonie de ces timbres de voix qui s'élèvent, qui disent, qui verbalisent tout ce que chacun passe sous silence, frustrations, émotions, scandales, déceptions, joies, l'empêchement à vivre. (...)
Elles ressemblent à une photo de Cindy Sherman. L'eau verte s'écoule dans le caniveau. Quand j'étais enfant, j'aimais me promener pieds nus dans l'eau du caniveau.
L'eau qui s'écoule irrémédiablement, qui s'infiltre dans les interstices que lui laisse le caniveau. Elle s’approche de moi, me parle presque à l’oreille. Me confie un secret comme celui qu’on confie aux murs d’une chambre. Parce qu'on sait que lui ne le répétera pas. Elles sont nombreuses mais sont seules face à ce mur. Je le suis moi aussi. Nous sommes des centaines mais si seuls et désarmés face à ce mur que jamais on ne regarde et qui, tout à coup, nous avoue tout, nous en dit trop.
La poésie de leur langue, de leurs paroles déversées et déclamées. Comme des mots mis magnifiquement sur du ressenti jamais exprimé.
Elles m'ont emmenée loin, m'ont enlevée l'espace d'une heure. J'y pense souvent depuis.
Une spectatrice, après une représentation à Sotteville-lès-Rouen
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(…) Désir de réveiller une mémoire, mais aussi désir de réveiller les consciences. Ces huit femmes, infiltrées par un mec habillé comme elles, s’y emploient avec talent et une indécence frôlant l’émeute. Mots écrits, colère d’injustice, désirs sexuels qui habitent le sang comme un ouragan. Elles explorent toutes les bassesses, tous les interdits, laissant un public choqué, séduit et parfois terrorisé. Génial.++ clic |
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PAROLES DE RUE met en scène huit femmes et un homme dans un univers purement urbain. La rue est à la fois décor et sujet d’un spectacle qui plonge dans les petitesses de la vie. Une rue fermée par des palissades. Un grand mur, nu au premier abord, qui va révéler peu à peu ses secrets et ses blessures. (…) ++ clic |
PHOTOGRAPHIES

























PARCOURS DU SPECTATEUR
Le mur est une épaisseur de temps, de géographies, une cartographie humaine en soi. Des histoires, nous nous sommes aperçus, qu’il y en avait mille. Qu’elles n’appartenaient pas à des personnages mais à des mondes, qu’elles étaient comme des fenêtres. Que se trouvait là, devant nous, une boîte de Pandore. Dès lors, ces huit femmes et cet homme n’endossent pas des personnages mais forment des figures, nées du mur et toujours y retournant, et nous revenant autres, transformées, porteuses de nouvelles histoires, de tous bords. C’est de la langue qui surgit… Cette langue multiple, vorace, intime, publique, furieuse, acharnée, douce, sensuelle, sexuelle, crue, nue, très ancienne, ou très contemporaine, ou encore à venir…
Claudine Galea
Dans la continuité de mon travail de mise en jeu, utilisant régulièrement le rituel, où chaque acteur et spectateur participe (mouvements de foule, déplacement singulier, adresse privilégiée), les huit femmes réalisent ici un rituel pour et avec le mur.
Le mur est choisi long et "fort", il entraîne ainsi un rapport réel au corps. Elles peuvent se confronter à lui, démultiplier les propositions gestuelles et avoir une approche sensible et sensuelle, qu’elles partagent ensuite avec le spectateur.
L’homme, au départ sur le trottoir d’en face, les suit. Le mur est comme la peau de l’homme, ses os, son cœur, elles lui parlent tout bas, l’accompagnent, le provoquent. Au départ lointain et agité, il se stabilise, approche, sort de son territoire (de ses idées reçues, de son enfermement ?) et va à la rencontre du mur. Présence muette pendant un long moment, il prend la parole en guise de conclusion.
Le rituel fait se succéder des temps où les femmes font vivre le bruissement de l’histoire du mur grâce à la superposition des grains de voix, et des temps où la relation avec le spectateur est unique. Le mur apparaît comme le dépositaire de la mémoire et des histoires passées là.
La scénographie permet le déplacement, d’embrasser à la fois tout ce qui se joue, d’avoir des parties de ce qui se dit et la totalité de ce qui se trame. Plusieurs types d’adresse sont proposées, à une personne ou en chœur… Certains textes sont donnés par toutes les femmes, d’autres découpés, redits, d’autres encore dits à une personne en particulier. Les chants a capella ponctuent les moments où le chœur entre dans son entier en relation avec le public. Déplacement, installation, ils permettent le mouvement tout en préservant l’humeur générale.
Le public est guidé par les actrices. Il est entraîné par elles tout le temps du rituel. Qu’elles l’alignent face au mur en laissant apparaître l’homme seul sur son "trottoir d’en face", qu’elles déroulent des tapis pour lui permettre de s’asseoir et d’observer l’ensemble de la perspective ou de suivre les déplacements, intégrés à la dramaturgie elle-même, elles sont son guide, fluide et attentif. Le jeu est de proximité, le public est impliqué avec complicité.
E. D.
TEXTES
La femme de Berlin
pendant plus de trente ans les touristes viennent à Berlin aussi pour
voir le mur
pendant plus de trente ans les touristes viennent à Berlin aussi pour
voir le mur
pendant plus de trente ans les touristes viennent à Berlin aussi pour
voir le mur
pendant plus de trente ans les touristes viennent à Berlin aussi pour
voir le mur
AUSSI
pour voir le
MUR
aussi pour VOIR
LE
mur
les TOURISTES
pendant plus de trente ans les touristes viennent à Berlin aussi pour
voir le mur
La femme à la verticale
coupure
interruption
horizon non
verticale
voir vers le haut
hiérarchie unique
dieu caché ?
La femme à l’horizon(tale)
voir de côté
voir loin
horizontale
refuse surveillance du monde
ouvre
étend
agrandit
imagine
La femme à la perspective
voici
la perspective
le passage
la traversée
le chemin
sur la place quelque chose arrive
sur le chemin quelqu’un arrive
La femme qui pleure
Seul sur la route
on est seul sur la route
La femme-christ
cloue les mains la poitrine les pieds
cloue
le bec
La femme qui fait le mur
moi le mur
je l’ai fait quand j’avais douze ans
douze ans
La petite fille au piquet
le nez dans le mur
les mains sur la tête
derrière toute la classe qui rigole
La femme qui construit des murs
combien de murs dans nos (elle montre sa tête)
combien de murs construisons-nous dans nos (elle montre sa tête)
combien de murs à Gaza
combien à la périphérie de Paris
combien de murs dans nos (elle montre sa tête)
combien entre toi et moi (elle mesure)
entre toi et moi (elle mesure) entre toi et moi
combien de murs dans nos (elle montre sa tête)
et de nos mains
nos propres (elle mesure ses mains)
combien
combien de murs
qu’il me jette la première pierre celui qui
celui qui (elle mesure)
ne construit pas de murs dans sa (elle mesure sa tête)
les murs dans nos (elle mesure)
(elle se hausse désespérément pour mesurer)
je n’y arrive pas
je n’y arrive pas
non je
n’y arrive
n’y arrive
pas
La femme qui tue
tu attrapes le lapin
tu prends le lapin par les pattes
et pan !
contre le mur
net
sans bavure
un peu de sang
souffre pas
tu fais pareil avec les poules
les canards les dindons
etc.
La figure qui dort contre le mur
blizzard
bazar
fait froid le soir
vieille couverture
vieux pain
vieille peau
orage
barrage
interdit dans le métro
interdit à la gare
interdit sous les ponts
interdit dans les escaliers souterrains
interdit sous les porches
interdit dans les jardins publics
interdit dans les cimetières
interdit dans les baraques des chantiers
interdit sous les pompes de la station-service
interdit dans les wc publics
interdit dans les murs du lotissement en construction
interdit le long du mur de la prison
interdit sur les murs de nos villes
sur les murs de nos villes
murs de nos villes
nos villes
interdit dormir dans nos villes villes interdites l’hiver vieilles peaux vieilles vies interdit
dormir debout
faire semblant
blizzard
bazar
froid soir
vieille couverture
vieux pain
vieille peau
villes où mourir
mourir
La figure qui roule contre le mur
ce qui coule de la bouche la semence de mots les morts n’en ont cure seuls les vivants se régalent au festin les hommes dégringolés mais vivants les semences vous viennent pour qu’on les prenne les mots des corps se jettent des bouches à bouches se rendent qu’on les remâche incessamment sous peu les ravale les recrache ce qui coule et déshabite pour habiter plus loin ça qui sort qui ne reste pas ne reste pas dedans en nos bouches ne pourrit pas en nos ventres en nos gorges sort ne demeure pas n’appartient pas se donne se mélange à la bouche qui mord la poussière à la bouche qui crie à la bouche qui embrasse à la bouche qui appelle à la bouche qui reprend redit répète inlassablement sous peu bouches de bouches ouvertes offertes prenez et mangez les morts tirent par dessous disent par dessous ce qui se dit se dit haut debout se donne par silence aigu essaime dans l’espace langues sortent bande d’hirondelles émigrent joyeusement passez et soyez tendres mots sortis larguez racines usages poreux prenez l’ombre longue d’hiver le feu des jours sans nuit au pôle à l’équinoxe passez lignes frontières ce qui coule de la bouche est semence à saisir sucer saouler esprits morts de fatigue de misère amère faite à yeux et oreilles ce qui sort de la bouche sort divague divague ce qui divaguant dit parle dedans dans ce qui se souvient se ranime tétée tétée ce qui coule dans de la bouche lait mots de la bouche de lait ce qui la semence les morts n’en ont seuls les vivants les vivants
La figure qui se cogne au mur
pour l’empêchement à vivre
pour l’enfant avorté
pour les livres que je n’ai pas lus
pour jacques simon dominique françois que je n’ai pas eus
pour les patins à roulettes que ma mère m’a refusés
pour les pays en guerre
pour le parc le lac et les chênes dans mes rêves
pour le rêve
pour les longues jambes que dieu m’a refusées
pour l’homme que je n’ai pas gardé
pour la saloperie des gens
pour la femme brune sur laquelle je me suis retournée métro bastille vendredi soir
pour éric que j’ai perdu
pour la bêtise humaine
pour le chagrin de mon père à me quitter
pour les idées noires
pour l’algérie où je ne suis jamais allée
pour les morts
pour les villes malades
pour les mers malades
pour les forêts malades
pour les paroles dites et oubliées
pour les fonds marins où gît mon grand-père paul
pour l’empêchement à vivre
pour mes amis
pour la poésie
pour le peuple sans terre de Palestine
pour l’empêchement à vivre
pour les morts sans nom et sans sépulture
pour les corps calcinés démembrés éventrés
pour l’imagination
pour les perfusés dans les hôpitaux
pour l’empêchement à vivre
pour les villes et villages rayés de la carte
pour l’empêchement à vivre
pour la terre brûlée
pour le sang qui coule
pour l’empêchement à vivre
pour une toile de rothko
pour le tibet libre
pour ben barka dissous dans l’acide
pour une cantate de bach pour un poème d’emily dickinson
pour l’empêchement à vivre
pour le premier amour
pour le dernier amour
pour la solitude
pour l’empêchement à vivre
pour le partage
pour le désespoir
pour la foi
pour l’empêchement à vivre
pour demain
pour aujourd’hui
pour tout de suite
pour ne rien oublier
pour t’oublier
pour l’empêchement à vivre
pour continuer
pour avoir la force
pour aimer plus
pour encore
pour l’empêchement à vivre
pour
rien
pour l’empêchement à vivre
pour
moi
pour
pour ne pas finir seul(e)
pour ne pas finir
La figure qui lit les choses écrites sur le mur
mort aux cons
mort aux vaches
mort aux juifs
mort aux bougnoules
mort aux bicots
va te faire enculer
con de ta mère
va mourir
sida = peste
toutes des salopes
mort aux rouges
mort aux pédés
mort aux chiens
toutes elles aiment ça
mort aux gouines
séropo = fascistes
la gauche ou la droite ?
les deux !
politiques = putes
toutes des putes
syndicats caca
chasse aux vierges appelez le 06 08…
chiens et flingues conseillés
le bois de cinq à sept la cave après
amener toutes gonzesses à partir de sept ans
pour niquer ma sœur appartement 512
coincez les pédés donnez-les aux chiens
manches de pioche balais crics bienvenus
deux par deux ou trois par trois
yougo moins chères que les russes
turques fraîches vendredi
pubères si possible
de nouvelles bouches pour se finir après la tournée des trous duc
bouillabaisse de séropo samedi en quinze
à la pentecôte pas de capote
moules avariées au 92
vierges au collège tournez manège
1 kilo de pure contre le cul (neuf) de ma frangine Appelez le 06 08…
ma mère est d’accord amenez à boire (Escalier B)
chaînes de vélo bouteilles couteaux pas d’armes à feu mardi minuit au carrefour
ni parents ni amis cons et queues
jean-claude et amandine rayés de la carte
je l’ai mise jusqu’au coude qui dit mieux ?
mercredi punition amenez javel et acide
pour les copains de la pleine lune : c’est pour samedi amenez vos femmes
pour les copains de la pleine lune (suite) : c’est pour lundi amenez vos filles
fellation et gamahuchage sans risque derrière le casse autoroute est
filles à engrosser appelez le 06 08
grosses à niquer
zigouillé un négro et toi ?
vulves en série chez le Gros tous les samedi
cons de chinetoques bien étroits Abribus ligne 7 terminus
deux beurs et toi ?
putes cefran ou maghrébines ?
jusqu’à l’épaule ducon !
nazib laurent et mousmous : au dessert figues fraîches